L’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants le 19 décembre 2017. La plate-forme Admission Post Bac (APB) est remplacée dans l’urgence par « parcoursup », censée être fonctionnelle courant janvier. Le gouvernement a profité du caractère arbitraire du tirage au sort mis en place par APB pour prétendre que la sélection à l’université était la seule solution. Si le tirage au sort n’était évidemment pas une solution, la sélection à l’université l’est encore moins. Mais face à l’échec du tirage au sort, l’État peut imposer sa nouvelle réponse en affirmant que celle-ci est bien plus légitime en permettant aux élèves les plus « méritant·e·s » d’obtenir la formation de leur choix.
Les élèves candidatant à une formation pourront désormais se voir répondre « oui si » par les enseignant·e·s de la fac chargés de classer l’ensemble des candidats, ce qui les obligera à suivre un ou des modules complémentaires pouvant durer jusqu’à un an, sans assurance d’être pris·e·s après, et avec les conséquences financières que cela représente pour certain·e·s de passer une année sans revenus (qui en plus ne comptera pas au niveau académique). Il s’agit là d’une sorte de redoublement d’office avant même d’avoir mis les pieds dans sa formation. Cette mise à niveau, sera obligatoire pour tout·e élève ayant obtenu un « oui si », mais les contours en sont encore flous. En 2016, 7 élèves sur 10 étaient obligé·e·s de travailler (que ce soit de manière régulière ou non) pour financer leurs études. Leur demander de financer une année nulle ne peut donc qu’être un motif de découragement.
Les capacités d’accueil de certaines filières où il y a plus de demande que d’offre seront parfois augmentées, mais sans augmenter les effectifs d’enseignant·e·s, déjà à bout de souffle, et pas suffisamment pour satisfaire entièrement la demande. On voit donc difficilement comment les candidat·e·s obtenant un « oui-si » pourraient tou·te·s être admis·e·s après avoir suivi leurs modules complémentaires: cela servira donc plutôt à décourager les élèves dans l’espoir qu’ils et elles se réorientent d’elles même. Un calcul cynique qui risque de fonctionner.
Les élèves qui n’auraient été accepté·e·s dans aucune filière se verraient indiquer une proposition de formation en fonction de leur projet d’étude et de leurs notes: on leur enlève donc maintenant le droit de faire les études de leur choix. L’État considère que dorénavant l’objectif est de faire des études quelles qu’elles soient et non plus de faire les études que l’on souhaite. Or quand un·e élève se retrouve dans une filière qui ne lui correspond pas, l’échec est généralement au rendez-vous.
Si l’objectif de cette réforme est de réduire les taux d’échec en licence cela risque d’être compliqué avec de telles mesures. En 2016, seuls 29% des étudiant·e·s inscrit·e·s en licence obtenaient leur diplôme au bout de 3 ans. Favoriser la réussite implique non pas d’instaurer une sélection, mais de permettre aux étudiant·e·s de suivre les études qui leur correspondent dans de bonnes conditions et, pour cela, il faut augmenter le nombre de places dans les différentes filières. Les réformes prévoient une licence à plusieurs vitesses en fonction du niveau de l’étudiant·e: celle-ci pourra désormais se passer en 2, 3 ou 4 ans. Là encore ce sont les élèves les plus démuni·e·s qui vont être touché.e.s par cette réforme qui demandera à certain.e.s de financer leurs études pendant 4 ans et non plus pendant 3 ans.
Ces réformes ne font qu’accroître la compétition entre les établissements, mais seront aussi un véritable frein pour les élèves venant d’établissements situés en zone d’éducation prioritaire, car il ne fait nul doute qu’à niveau égal un·e élève venant d’un grand lycée parisien passera toujours avant un.e élève issu d’un lycée de banlieue.
Les enseignant·e·s se retrouvent elles et eux aussi affecté·e·s par ces réformes. Les profs principaux devront désormais déterminer dans quelle filière doit s’orienter l’élève (avis qui sera transmis aux universités). Or cela ne fait absolument pas partie de leur attribution.
En bref, tout le monde est perdant: les élèves découragé·e·s qui ne tenteront même pas le coup, celles et ceux qui perdront un semestre ou un an sans même qu’on leur ait laissé une chance d’essayer, les enseignant·e·s qui auront plus d’élèves et devront aussi assurer les modules complémentaires sans augmentations d’effectifs.
Il existait pourtant une façon de satisfaire tout le monde: il faut augmenter les effectifs et accepter tou·te·s les candidat·e·s ! Mais pour ça bien sûr, il faut plus de moyens. Où trouver l’argent ? Par exemple dans les milliards du crédit impôt recherche qui sert d’évasion fiscale aux grandes entreprises, ou dans ceux de le recherche militaire qui sert à inventer l’impérialisme français de demain ?
Contre l’université start-up, la CNT soutient toutes les tentatives concrètes pour une recherche et un enseignement supérieur au service de tout·e·s :
Expérimenter des pédagogies alternatives, développer les universités populaires et les UFR autogérées, permettre à tout·e·s la formation tout au long de la vie et l’accès à plusieurs domaines de connaissance plutôt qu’une spécialisation unique et étriquée, s’organiser en équipes et laboratoires non-hiérarchiques, développer et utiliser les logiciels libres, donner libre accès aux résultats de la recherche, publier dans les revues gratuites plutôt que dans celles à haut « impact factor », avoir une indépendance dans les choix des sujets de recherche… Mais cela ne suffit pas, car le système capitaliste et les états centralisés et bureaucrates font tout pour entraver le développement de ces initiatives. Seules la lutte et l’organisation collective permettront d’établir un rapport de force suffisant afin d’obtenir ce que nous voulons :
- Une Université et une Recherche autogérées où les buts et les orientations se décident ensemble, étudiant·e·s, personnel enseignant et non-enseignant.
- L’arrêt du recours aux contrats précaires et à la sous-traitance au sein des universités. Une Université et une Recherche de qualité, cela commence par des emplois stables pour l’ensemble du personnel.
- Rééquilibrer les financements entre universités et grandes écoles, et à terme, redonner à l’université la mission de former les futur·e·s ingénieur·e·s.
- Une abolition des hiérarchies salariales; et cela commence par une augmentation des plus bas salaires.
- Que l’encadrement d’un·e doctorant·e soit assuré par une équipe ou un laboratoire auquel il/elle serait intégré·e comme tout autre personnel du laboratoire et non plus par un·e unique chercheur·euse ayant tout pouvoir sur l’avenir de l’étudiant·e.
- L’abandon du projet de loi introduisant une sélection à l’entrée en licence.
- Le transfert des milliards du Crédit Impôt Recherche vers la recherche publique et de ceux de la recherche militaire vers les autres domaines.
- La régularisation de tou·te·s les étudiant·e·s sans papiers.
Ce dernier point est particulièrement d’actualité. En effet, depuis septembre, partout en Île de France, les préfectures se refusent à recevoir les dossiers de demande de régularisation, tout dépôt est jusqu’à ce jour impossible. Cela est l’aboutissement d’une dégradation terrible des conditions d’accueil des étudiant·e·s étranger·e·s depuis 10 ans. Alors que des dépôts collectifs (qui offrent le plus de chance aux étudiant·e·s notamment isolé·e·s) étaient encore acceptés, les étudiant·e·s de L1, L2 et L3 étaient également autorisé·e·s à déposer des dossiers. Ce n’est plus le cas depuis novembre 2015.
Nous appelons ainsi à se rendre au rassemblement organisé par des étudiant·e·s sans papiers avec le soutien de RUSF. (Mercredi 31/01 à 10h au 21 rue de la montagne Sainte-Geneviève 75005)